Tout part d’un souvenir d’enfance : nimbé d’une lumière douce, un homme embrasse une femme et ses enfants dans un aéroport, des policiers se tiennent en arrière-plan.

Des années plus tard, partageant ce souvenir fondateur avec son frère aîné, Sabrina apprend qu’elle n’a pas rencontré son père dans un aéroport, mais en prison. Ce n’est pas un souvenir heureux, mais tragique.

Elle se lance alors dans une quête de vérité. À la recherche de son père et de son histoire – celle des prisonniers politiques algériens dans les années 1970 –, elle entreprend un voyage improbable sur les traces de son passé, les services secrets à ses trousses.

Et si rien ne s’était comme elle l’avait imaginé ?

Revue de presse

Sur TV5 Monde MOE une émission animée par Mohamed Kaci

Une fillette de 4 ans rencontre son père pour la première fois dans un aéroport, avec des gardes du corps en arrière-plan. Il s’agit d’un souvenir-écran. Sabrina Kassa s’en empare pour entreprendre un voyage en Algérie, aidée par le robot conversationnel ChatGPT. « Le Faux Souvenir » est publié dans la collection écoféministe Nouvelles Lunes (éditions Au diable vauvert).

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France Inter Chronique de Christophe Bourseiller

« Nous vivons dans une société amnésique »

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France Bleu Interview par Michèle Caron

Quand l’écran se déchire

Il aura fallu attendre la quarantaine à Sabrina Kassa pour découvrir la vérité quant à son père. Sa mère quitte Alger et débarque à Grenoble avec ses cinq enfants et la petite Sabrina à naître . Plutôt préservée par la vie jusqu’alors , fille unique, de « bonne famille », elle devient brutalement cheffe de famille sans papiers dans un pays étranger. Le père est absent, et pour cause. Emprisonné pour des motifs fallacieux, il reste au pays. Sabrina ne le rencontrera qu’à l’âge de 4 ans et demi. Le souvenir de cette rencontre, un homme embrasse sa mère dans un aéroport avec en arrière-plan des policiers. Arrivée à la quarantaine, Sabrina partage ce souvenir avec l’un de ses frères. Et là, tout s’effondre. La réalité est tout autre. Son père était en prison, et c’est là qu’elle lui rendait visite . Elle décide de partir en quête de la vérité.

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Souffle Inédit par Djalila Dechache


Un frère et une sœur relatent un souvenir précis, vécu durant leur enfance, concernant leur père aujourd’hui décédé.
L’une narre avec précision le jour où elle a vu son père prendre sa mère dans ses bras, la petite fille voit son père pour la première fois à l‘aéroport d’Alger. Elle se souvient de tout, comment elle était habillée, que son père portait un burnous marron, il avait des gardes derrière lui.
Le frère quant à lui, va narrer une toute autre histoire, la rencontre avec leur père a bien eu lieu, mais dans un bagne à Batna. Comme il est un peu plus âgé, tout porte à penser qu’il a une mémoire plus juste, plus fiable. La fille se remémore et pense que non elle n’a pas tort. Ce qu’elle va signaler à son frère. Lui, sur un ton bonhomme la calme gentiment, puis renonce à sa version beaucoup trop douloureuse et adopte celle, sublimée, de sa sœur.
A partir de là, une collision mémorielle va se jouer.
Qui a raison, qui a tort ? Là n’est pas la question.

A cette échelle, cela pourrait être plus dramatique, il ne faut pas pour autant minimiser la portée de ce souvenir poignant vécu par des enfants aussi jeunes, mais le transposer à l’échelle d’une nation, d’un pays, d’une guerre entre la France et l’Algérie, cela devient tout autre chose, cela relève d’une guerre des mémoires, des archives, des transmissions aux générations suivantes, et c’est un devoir de laisser une histoire nettoyée de tout transfert forcément subjectif. Comment vit-on avec ce poids ? C’est une question aux conséquences bien vivaces.
C’est tout l’intérêt et l’intelligence du livre de l’autrice Sabrina Kassa qui a tissé une histoire dans la grande en partant d’un fait intime, familial.
En réalité, il ne s’agit pas d’un Faux Souvenir mais de SON souvenir, celui qu’elle a tissé, qu’elle a métabolisé, qu’elle a rêvé et idéalisé, en accord avec elle-même, avec qui elle est et avec ce qui lui convient. Aussi ce souvenir n’est pas erroné, il est, tout simplement.
Tout comme celui de son frère, il lui appartient de la même manière que celui de sa sœur lui appartient.
Comme l’autrice le dit : « On ne dira jamais assez combien il est cruel de vivre sans illusion».

Ce petit livre a déclenché en moi des souvenirs lors de mes études en sociologie à la Fac de Nanterre. Nous avions étudié le livre d’Oscar Lewis « Les enfants de Sanchez ». Sans chercher à le relire, je me fie moi aussi à ma mémoire de jeune adulte de l’époque. Ce livre je n‘ai pas pu l’oublier parce qu‘il m’a éclairé sur moi et sur les autres.
L’anthropologue américain Oscar Lewis, dans le cadre d’une étude sur la pauvreté a interviewé une famille très modeste de Mexico, composée des membres d’une même famille. Ils ont donné des versions aussi différentes que nombreuses d’un même événement. Cela a permis de révéler que les processus de la mémoire varient d’une personne à l’autre, d’un temps à l’autre.
Le récit était très étonnant. L’ouvrage est devenu une référence depuis sa parution en 1961, il a été traduit en français en 1978.

D’une certaine manière Sabrina Kassa retrace une histoire identique.

La concernant, elle est retournée plus tard en Algérie à la recherche de son histoire et de son rêve impossible.
Elle a beau invoquer Freud avec « La mémoire n’est pas une servante fiable » combien de fois n’a-t-on pas laissé libre cours à la croyance que notre mémoire reste intacte ?
Son livre intense apporte sa contribution au travail de mémoire et au travail de deuil : « l’absence de mon père, si cruelle soit-elle m’a aussi apportée son lot de consolation ; la liberté de le rêver, et de me rêver au passage. Le voyage m’aura appris ça », écrit-elle en épilogue.
On est tenté de lui dire que c’est une chance énorme d’avoir compris et acquis cela.
Sabrina Kassa est journaliste et autrice, elle a publié plusieurs ouvrages dont des essais et deux romans qui portent sur l’histoire des algériens.

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Wukali par Felix Delmas

Sabrina a 4 ans, elle est en Algérie avec sa mère et l’un de ses frères, elle se souvient qu’elle a un sac à dos et, à l’aéroport s’approche un homme entouré de militaires qui enlace sa mère. Elle demande à son frère qui est-ce, et elle apprend que c’est son père. Son père qu’elle ne connaissait pas. Il faut dire qu’elle est née à Grenoble, sa mère étant partie d’Algérie alors qu’elle était enceinte quand son mari a été arrêté.

Première rencontre avec son géniteur, avec ce père qu’elle apprendra à connaître un peu, plus tard. Maintenant, il est décédé et Sabrina, en parlant de son souvenir avec son frère, apprend que c’est un faux souvenir. Oui elle avait bien 4 ans la première fois où elle a vu leur père, oui c’était bien en Algérie, mais pas à l’aéroport mais à la prison de Lambèse où il était détenu.

Qu’est-ce qu’un souvenir ? Pourquoi s’en fabrique-t-on, pourquoi croire en des vérités qui n’en sont pas, qui ne sont que des constructions modelées par notre esprit ? Quel effet ces faux souvenirs ont eu dans la construction de notre personnalité, de notre vie ? Tout ce que nous avons entrepris et fait, tout ce que nous pensons et faisons, tout cela serait donc édifié sur des fondations en sable, c’est-à-dire instables ? Comment agir, être quand on a conscience, avec Georges Pérec que : « l’enfance n’est ni nostalgie, ni terreur, ni paradis perdu, ni Toison d’or, mais peut-être horizon, point de départ, coordonnées à partir desquelles les axes de ma vie pourront trouver leur sens ».

Un voyage pour rien («amer savoir celui qu’on tire du voyage» comme l’écrivait Baudelaire) ? Non, plutôt un voyage initiatique qui lui permet d’avoir encore des souvenirs, même faux, mais qui lui permettent en tout cas de comprendre la personne unique qu’elle est devenue.

Ce court récit est aussi pour Sabrina Kassa une occasion pour rendre un hommage appuyé et plus que mérité pour l’immense écrivain (interdit en Algérie, enfin dont les ouvrages ne sont pas publiés officiellement pour de sombres histoires de droits d’auteur gérés par son éditeur français) que fut Kateb Yacine. Si vous ne le connaissez pas, lisez le plus vite possible Nedjma ou ses entretiens compilés dans le Poète comme un boxeur.

Quoiqu’il en soit, Le faux souvenir nous amène sur des chemins que peu osent prendre et qui nous conduisent à la vérité, c’est à dire sur notre vérité en partant de notre passé et de nos souvenirs. Une démarche que nous tous devrions avoir le courage d’entreprendre. 

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Les Lectures d’Antigone